Quelques idées sur le divertissement ?

Molière l'a constaté : rien n'est plus difficile que de faire « rire les honnêtes gens ». Une longue tradition comique et poétique a donné ses lettres de noblesse théâtrale au spectacle de divertissement : la farce et les tréteaux à la fin du Moyen Âge, la comédie à l'italienne au XVIIe siècle, la pantomime et le mélodrame au XIXe. Avant d'être spectacle, le divertissement est fête. Il entretient certains liens avec différents facteurs de la vie collective, mais il n'est pas fonction des événements. Un divertissement est une parenthèse, souvent à l'intérieur d'un spectacle, ou bien à l'intérieur d'un ensemble de manifestations sociales. Il évoque la participation d'une assistance où tous sont à la fois acteurs et spectateurs. Les masques et déguisements y ont leur part dans un décor qui, s'il évoque le théâtre, évoque aussi l'ambiguïté et la multiplicité des significations. Le spectacle illustre la fête, met en scène la fête pour mieux la saisir. Le divertissement transforme un espace, multiplie le temps imaginaire, métamorphose les lieux et les êtres. C'est une expression de joie, un surenchérissement de l'existence. La comédie corrige les mœurs, a-t-on dit. Le divertissement fait intervenir une féerie qui transforme les rapports des personnages entre eux et des personnages avec l'ordre du monde. Le spectacle de divertissement se présente tour à tour comme un excès de l'art et un retour à la vie, un éclatement des lieux traditionnels de l'illusion. Il est multiplication des moyens d'exaltation du corps et de l'esprit : musique, parole, chant, danse, masques, costumes ; il est poésie, il est aussi magie. Les autorités laïques ou religieuses ont édicté toutes sortes de lois qui ont institutionnalisé les fêtes : religieuses, civiques, révolutionnaires, républicaines, familiales. En un sens, le théâtre a pris naissance dans le spectacle qui lui-même était fête. Mais cette fête, cet état d'enthousiasme était une lutte contre une crainte, une peur, ou tout au moins représentait-il un espoir en une vie plus heureuse.© Encyclopædia Universalis 2004, tous droits réservés

5 commentaires:

Anonyme a dit…

"Après coup" : Un "joli" café philo ce jour ... et une question en suspend, posé par le toujours romantique Philippe : "et l'amour, non, l'état amoureux, est ce divertissement ?" question éludée .. manque de temps ? Un prochain sujet ?

Une petite réflexion jetée sur le sujet : l'amour, au sens universel et non celui du couple, ne "peut" être un divertissement (conviction personnelle et philosophique); l'état amoureux, la relation à deux, elle, peut être un divertissement (ce n'est pas une nécessité, mais une possibilité, le mot légèreté revient alors prendre ça place), et le sens de ce mot (divertissement donc) dans ce cas s'accompagne de la notion souhaitable de respect et ne sous entend pas de notion péjorative, mais celle de générosité. Un divertissement partagé qui construit chacune des parties, qui n'empêche pas le sérieux, la considération, le sentiment.
"L'état amoureux" peut rejoindre "l'amour" quand il implique "le don de soi", sans contrepartie .. une pensée d'idéaliste ? Un lien établit entre le divertissement et la gravité ? Mais qu'est ce qui est grave, sinon ce qui est essentiel, et le vain (vin ?)et le futile n'ont ils pas ce charme et cette nécessité qui nous permettent de les transposer en moments essentiels, donc graves ?

Une étude récente établit que la durée moyenne de la relation de couple actuellement est de 3 ans et demi. La raison donnée est qu'à cet âge, l'enfant a franchi un cap dans son développement et sa sécurité qui fait que le couple a moins besoin "d'exister" pour la survie de l'enfant.

Voilà pour la p'tite divagation d'après coup.

Grégory

Anonyme a dit…

Ce qu'il me reste de ce samedi-là ...

Ce qui m’a frappée, c’est de constater combien tout l’intérêt des participants s’est focalisé sur ce mot « divertissement » rejetant pour un temps, la problématique exprimée. Comme si ce mot à lui seul fascinait par ses ambiguïtés. On s’est vite rendu compte que les sens perçus par les uns ou les autres ne correspondaient pas toujours à la définition relativement noble donnée par l’Universalis. Comme beaucoup de notions, celle du divertissement a sans doute évolué au cours du temps et, ce qui nous intéressait c’était de savoir quels parfums avait ce mot, au temps de la culture présente.

A travers nos efforts pour cerner la sémantique s’est profilé simultanément de la part de certains une sorte d’inquiétude : serions-nous coupables, d’une certaine façon, en profitant de certains menus plaisirs de l’existence jugés futiles, dans leur apparence ? D’où la nécessité de nous situer, en tant qu’individu, dans notre rapport au plaisir. Pouvons-nous revendiquer, comme un droit, l’envie de faire la fête, de jouir d’un instant récréatif qui n’aurait d’autre but qu’un petit bonheur fugace ? Pouvons-nous revendiquer la distraction qui n’aurait aucune ambition que d’être de la distraction ?
Et si tel est notre besoin, pourquoi renoncer à ce qui nous fait du bien ? Au nom de quoi ? Notre vie spirituelle doit-elle faire ascèse, dédaigner le léger et retenir le sérieux ? Et le léger fait-il de nous des êtres superficiels ? Le sérieux fait-il de nous des êtres plus profonds ?

Et puis, le léger renvoie à quelque chose de superficiel mais il a son versant noble, poétique, artistique. Parfois, faut reconnaître qu’il peut tomber sur le registre du douteux, du grivois voire du grossier. Peut-être s’agit-il de ce dernier dont il faut se méfier car, sous le masque de la culture, ne risque-t-il pas d’abêtir franchement celui qui lui accorderait trop d’espace ?

Finalement, se cultiver sans se sentir coupable de lèse légèreté, c’est un beau programme pour conduire sa vie, me suis-je dit dernièrement en profitant de ces journées patrimoine ! Il faut dire que dans la belle église de Vauréal trônait une expo contemporaine plus qu’étonnante : une armée de grands bâtons blancs retenus entre eux par des petits maillots au crochet. L’incongruité de ces sculptures ( ? ) presque provocantes jalonnant ces murs austères incitait à réfléchir, à se divertir ? J’ignore ce qu’en pensait l’artiste mais je crois qu’elle forçait aux deux . Quant à savoir si elle laisserait une empreinte et de quelle nature, rien n’est plus difficile à savoir :-))

Anne

Unknown a dit…

Ce que j’ai retenu de ce samedi-là…

Ce qui m’a frappée, c’est de constater combien tout l’intérêt des participants s’est focalisé sur ce mot « divertissement » rejetant pour un temps, la problématique exprimée. Comme si ce mot à lui seul fascinait par ses ambiguïtés. On s’est vite rendu compte que les sens perçus par les uns ou les autres ne correspondaient pas toujours à la définition relativement noble donnée par l’Universalis. Comme beaucoup de notions, celle du divertissement a sans doute évolué au cours du temps et, ce qui nous intéressait c’était de savoir quels parfums avait ce mot, au temps de la culture présente.

A travers nos efforts pour cerner la sémantique s’est profilée simultanément une sorte d’inquiétude : serions-nous coupables, d’une certaine façon, en profitant de certains menus plaisirs de l’existence jugés futiles, dans leur apparence ? D’où la nécessité de nous situer, en tant qu’individus, dans notre rapport au plaisir. Pouvons-nous revendiquer, comme un droit, l’envie de faire la fête, de jouir d’un instant récréatif qui n’aurait d’autre but qu’un petit bonheur fugace ? Pouvons-nous revendiquer la distraction qui n’aurait aucune ambition que d’être de la distraction ?
Et si tel est notre besoin, pourquoi renoncer à ce qui nous fait du bien ? Au nom de quoi ? Notre vie spirituelle doit-elle faire ascèse, dédaigner le léger et retenir le sérieux ? Et le léger fait-il de nous des êtres superficiels ? Le sérieux fait-il de nous des êtres plus profonds ?

Et puis, le divertissement renvoie à quelque chose de frivole mais il a son versant noble, poétique, artistique. Parfois, faut reconnaître qu’il peut s’égarer dans la facilité, virer sur le registre du douteux, du grivois voire du grossier. Peut-être s’agit-il de ce dernier dont il faut se méfier car, sous le masque de la culture, ne risque-t-il pas d’abêtir franchement celui qui lui accorderait trop d’espace ?

Finalement, se cultiver sans se sentir coupable de lèse légèreté, c’est un beau programme pour conduire sa vie, me suis-je dit dernièrement en profitant de ces journées patrimoine ! Il faut dire que dans la belle église de Vauréal trônait une expo plus qu’étonnante : une armée de grands bâtons blancs retenus entre eux par des petits maillots au crochet. L’incongruité de ces sculptures ( ? ) presque provocantes jalonnant ces murs austères incitait à réfléchir, à se divertir ? J’ignore ce qu’en pensait l’artiste mais je crois qu’elle forçait aux deux . Quant à savoir si elle laisserait une empreinte et de quelle nature, rien n’est plus difficile à mesurer...

Anne

Anonyme a dit…

Effectivement Anne, il y aurait (à moins de souhaiter une vie plus austère orientée vers la spiritualité exclusivement) dans nos esprits une forme de divertissement "respectable" et un divertissement qui l'est moins. Mais la culture ne peut être associée dans tous les cas au divertissement à mon avis, même si les deux ne sont pas incompatibles.

Et la culpabilité liée au divertissement est probablement un faux problème puisque nous sommes libres de nos choix et de nos actes en la matière. Culpabiliser de ses divertissements s'apparente à mons sens à une difficultée psychologique personnelle, où intervient probablement parfois l'idée de morale, d'estime de soi ...

Mais je voudrai dire surtout ceci : quand le divertissement, qui dans ses formes multiples a énormément évolué (imaginons un instant un divertissement du XIX siècle, un divertissement d'avant la télévision, d'avant l'ère de l'omniprésente consommation), consiste à "vendre" (oui c'est un acte commercial et d'incitation à la consommation dans de nombreux cas, et là on est en pleine culture au rabais me semble t'il)et à "fabriquer" de la culture ou du loisir, je pense que nous sommes en grave danger. Que pensons nous les uns et les autres des pires émissions télé proposées ? Des romans "fabriqués" par ordinateur, des musiques et des films réalisés à partir d'un cahier des charges imposé par le commerce ? (20 % de rire, 15 % de larme, 25 % de sexe, une happy end ou pas, etc ...)

Presque un autre sujet ...

Grégory

Anonyme a dit…

Bonjour, au Forum politique de Grenoble, parmi les sujets traités, celui-ci :

L’art, une affaire de manager ?

Les réponses ci dessous apportent des éléments de réponse à notre sujet, et relient l'dée de commerce du divertissement avec la notion de sous culture .. bonne lecture.

Grégory


Jean-Jacques Aillagon et Jean-Jack Queyranne
QUOTIDIEN Libération : vendredi 14 septembre 2007

Jean-Jacques Aillagon Ancien ministre de la Culture et de la Communication.
La question est ambiguë. Spontanément, on aimerait croire que les mots art et manager n’ont rien à faire ensemble. On s’offusquerait volontiers de leur association. La réalité est cependant plus complexe. Tout d’abord parce que depuis longtemps, depuis toujours peut-être, l’art a fait bon ménage avec le pouvoir, avec l’argent, avec le marché donc. Depuis tout aussi longtemps, il a donc été objet de spéculation. Sa possession, sa transmission, sa conservation ont donc renvoyé vers des questions de gestion patrimoniale ou commerciale, vers un management donc, même si cette activité n’en portait pas encore le nom. L’art est aussi devenu, c’est l’un des grands effets de la démocratisation de la culture et de la sédimentation des actions publiques, un objet culturel qui participe singulièrement au développement d’une civilisation des loisirs dont il est parfois devenu l’un des arguments les plus attractifs. Dans ces conditions, on peut se demander si l’art conserve réellement sa capacité critique, quelle que soit la force apparente de la disponibilité protestataire des créateurs. Seraient-ils devenus les instruments même involontaires des stratégies de managers ? Je ne le crois pas, je ne le souhaite pas. C’est la raison pour laquelle, j’attends des institutions qu’elles retrouvent le sens de leur mission critique par rapport au marché tout particulièrement, qui ne doit pas devenir la référence solitaire et suprême des situations de l’art.

Jean-Jack Queyranne Président de la région Rhône-Alpes, ancien ministre.
Ainsi formulée - et même en faisant la part de la provocation - la question ne peut renier ses origines ! Dans notre pays, les politiques culturelles qui s’affirment à partir des années 50 s’inscrivent dans le concept de service public, valorisé par Jean Vilar. Pour le fondateur du TNP, la culture est un service public aussi essentiel que «l’eau, le gaz et l’électricité». Le droit y fait écho. Aux Etats-Unis triomphe alors une approche de la culture fondée à la fois sur le fameux pragmatisme anglo-saxon et sur une idéologie libérale. Elle propose de mettre en œuvre les méthodes managériales qui donnent de si bons résultats en matière de business. Cette démarche a longtemps scandalisé les milieux culturels. Pourtant, la prise de conscience de la rareté de la ressource publique a convaincu bien des responsables de la nécessité de recourir de plus en plus aux méthodes de gestion du monde de l’entreprise. Mais peut-on diriger une «entreprise culturelle» comme n’importe quelle structure commerciale ? Il est essentiel que le manager n’en vienne à oublier les véritables objectifs, qui ne sont pas de remplir une salle à tout prix ou de vendre le plus possible d’exemplaires, mais de soutenir la création artistique et d’ «élargir le cercle des connaisseurs». A l’heure où les confusions sont savamment entretenues par des discours soi disant «décomplexés», entre culture et paillettes, people et pensée, et où un nouvel ordre moral peut devenir l’apanage de la modernité au détriment de toute pensée critique, le rôle des responsables impliqués dans le «management de l’art» est déterminant. Non, décidément la fin ne justifie pas les moyens. Pas seulement pour des raisons morales mais parce qu’en matière d’art, la fin ne se distingue pas des moyens, de même que le fond ne fait qu’un avec la forme. Car si l’on n’y prend garde, au terme d’une logique strictement managériale de l’art, les valeurs qui l’emportent seront celles de l’ entertainement : les armes de distraction massive.